La présidentielle approche et franceinfo prend le temps de raconter vos histoires et vos combats menés parfois dans l’ombre d’une actualité quasi monopolisée par la crise sanitaire du Covid-19. Premier épisode sur la première préoccupation des Français : le pouvoir d’achat. Avec l’inflation, les fins de mois sont plus en plus difficiles. Des salariés se battent pour gagner plus.
C’est la première grève dans l’histoire de l’entreprise. Dans le Vaucluse, les ouvriers de Charles Faraud-Charles et Alice, fabriquant de compotes, viennent d’obtenir une revalorisation salariale après une grève qui a duré douze jours. La plus longue pour Monaim. À Carpentras, dans son salon douillet, posé sur ses canapés au style marocain, l’ouvrier de 40 ans nous accueille avec un café chaud. Fatigué, il commence à 5 heures du matin et termine à 13 heures. Les cernes qu’il a sous les yeux sont aussi les marques de ses douze jours de grève. "Je suis crevé ! La grève, elle a laissé des traces", explique-t-il.
La grève a pris fin il y a une semaine, le 14 janvier, sur les sites Charles et Alice de Monteux et de Sorgues. Douze jours à tenir le piquet même la nuit dans le mistral et le froid : "Il faisait - 6 °C. Mais voilà ce qui m'a poussé à le faire, ce que je suis comme tout le monde. Quand j'en discute avec mes collègues, mes amis, on n'y arrive pas, on est tous au même point."
"On ne se fait pas de restaurant. Le peu de fois où on sort, c’est pour emmener les petits au fast-food. Ça fait deux ans qu’on n’est pas partis en vacances."
Monaim, salarié de Charles et Aliceà franceinfo
Ce père de famille de trois enfants, salarié depuis 2017 est conducteur de machine. Il contrôle aussi le marquage ou le vissage des gourdes de compotes pour un salaire insuffisant : "On tourne à peu près entre 1 500 et 1 700 euros net en faisant les trois huit. Si on n'a qu'une semaine de nuit dans le mois, on se fait 1 450 euros. Honnêtement, on n'y arrive pas." Pour Monaim, "il faut faire attention à tout. Avant, on faisait le plein pour 55 euros. Maintenant, il faut 75 euros. Tout a augmenté en partant des œufs, la farine, le riz ou les pâtes. Ce n'est pas évident. On s'habille pareil, on a les mêmes voitures, on a les mêmes factures, on n'y arrive plus, franchement, ça fait deux ou trois ans. C'est trop cher."
"On n'a pas assez de reconnaissance"
Un pouvoir d’achat qui n’en a que le nom, dérisoire, impossible de mettre de l’argent de côté. C’est ce qui a poussé Monaim et 80% des salariés de la chaîne de production à cesser le travail. Et ça a payé. Grâce à leur mobilisation ils ont arraché une revalorisation salariale. "On a obtenu 85 euros, on voulait à la base 100 euros net, raconte-t-il. Donc moi, je trouve qu'on s'en est bien sorti, je pense que déjà, ça va donner un bon coup de pouce." Cette grève est donc une réussite pour l'ouvrier : "En aucun cas, on l'a fait contre l'usine. Je travaille pour la marque et j'en suis fier. J'aime bien quand mes enfants mangent à la cantine, et me disent : 'Papa, on a mangé tes compotes aujourd'hui'. Mais derrière, on n'a pas assez de reconnaissance. De temps en temps, il faudrait que l'entreprise nous donne un petit billet. Ça nous encouragerait encore plus."
Son vote à la présidentielle sera-t-il influencé par les propositions des candidats sur le pouvoir d’achat ? "La question ne se pose même pas, répond Monaim. Nous, on veut améliorer le niveau de vie en baissant les taxes déjà, en baissant un peu les factures de tous. Avec cette inflation, les gens ne s'en sortent plus." Mais ce qu’ils ont réussi à obtenir est bien en dessous de ce qu’il faudrait pour vivre décemment. Malgré cette augmentation beaucoup d’ouvriers vont continuer à demander des acomptes sur salaire, des crédits à la consommation, d’autres garderont aussi le petit boulot qu'ils ont en plus pour gagner un peu d’argent.
"On est en 2022 et on est en guerre pour pouvoir gagner correctement notre vie. On est contents d'avoir eu 85 euros, mais ça vaut beaucoup plus que ça."
Frédérique Hortal, déléguée syndical CGTà franceinfo
Frédérique Hortal, déléguée syndical CGT de l’entreprise a réalisé une enquête auprès des salariés courant octobre pour connaître leur reste à vivre et ce qui leur manquerait pour s’en sortir à la fin du mois va bien au-delà de ces 85 euros. "La moyenne, c'était quand même qu'il y avait un manque de 350 euros brut pour pouvoir avoir une vie un peu plus normale, expose le syndicaliste. C'est un besoin. Les salariés ont besoin de retrouver un peu de pouvoir d'achat !" Une séquence a marqué Frédérique Hortal, quand le PDG du groupe est venu leur présenter les chiffres de la société : "Il nous a montré qu'il y avait des millions, que l'entreprise se portait bien... Quand on voit des choses comme ça, on ne comprend pas. On se dit : 'Mais nous, ce qu'on est en train de vous demander, c'est 300 000 euros et vous, vous mettez 1,5 million dans une entreprise basée à Amsterdam ! Vos salariés, ils sont là, ils ne s’en sortent pas, mais ça vous passe à côté !'"
"Je n'achète pratiquement plus rien"
Pour Rosie c’était la première grève de sa vie. Ses collègues appellent affectueusement cette conductrice de ligne de 60 ans "Mémé". Dans sa cuisine entourée de ses chihuahuas elle se prépare pour sa nuit. Prise de poste à 21 heures jusqu’à 5 heures du matin. Au dîner ce soir : des petits pois carottes avec du porc. La boite de conserve vide posée près de la mijoteuse est une marque discount. Car Rosie aussi doit tout compter : "Au mois de novembre. J'ai gagné 1 530 euros net. Au bout de quinze ans, en arrivant à deux ans de la retraite, c'est inadmissible. C'est pour ça qu'on s'est mis en grève parce que les salaires étaient trop bas."
"Une fois que vous avez payé vos charges fixes, il ne vous reste plus que vos yeux pour pleurer. Je suis tous les mois à découvert. C'est le pouvoir d'achat qui nous a fait sortir parce qu’on n'en peut plus de ces salaires de misère."
Rosieà franceinfo
Ses enfants l’aident financièrement. "Mon gendre aussi me descend régulièrement du bois pour me chauffer., raconte Rosie. Ce n’est vraiment pas normal, c'est [le monde] à l’envers. Et ça me blesse quelque part. Normalement, je devrais me suffire à moi-même. C'est malheureux, je n'achète pratiquement plus rien... Là, c'est les soldes, par exemple. Je ne suis pas allée les faire, je n'ai plus de sous."
Le jogging rouge qu’elle porte, Rosie l’a eu pour 12 euros et c'était il y a un moment. Elle ne peut pas s’offrir quelque chose de meilleure qualité. Pour ses courses, elle utilise des cartes à débit différé. Quand on lui demande si elle est sensible à ce que proposent et proposeront les candidats à la présidentielle, l’ouvrière est désabusée : "J'ai toujours voté, depuis que j'ai l'âge de 18 ans. J'irai voter, mais je ne leur fais plus confiance parce que c'est tous des menteurs. La gamelle est bonne comme on dit parce qu'ils se battent tous pour y aller !" Pour cette femme de 60 ans, les politiques savent faire des promesses : "Mais quand ils sont au pouvoir, ils ne pensent qu'à leur gueule, mais pas à la nôtre. Que les patrons partagent leurs richesses avec leurs ouvriers et qu'on mette des salaires dignes pour pouvoir vivre."
Il est l’heure de partir travailler. Rosie claque la porte. Le mistral souffle fort ce soir. Elle a calculé que dans deux ans, quand elle prendra sa retraite, elle touchera 790 euros. Si son pouvoir d’achat n’augmente pas, elle pense à refaire des travaux de couture pour pouvoir subvenir à ses besoins.