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La preuve des heures supplémentaires

Dans un arrêt rendu le 5 janvier 2022 (n°20-16.172), la Chambre sociale de la Cour de Cassation fait un pas supplémentaire dans la possibilité pour le salarié d'obtenir le paiement des heures supplémentaires qu'il a accomplies lorsque l'employeur n'a pas enregistré la durée de travail comme l'y oblige normalement le code du travail en cas d'horaires individualisés.

Dans cette affaire, un salarié avait saisi, après son licenciement, la juridiction prud’homale pour obtenir le paiement d’heures supplémentaires.

La cour d’appel avait rejeté sa demande. Elle avait considéré que les pièces communiquées par le salarié pour justifier de ses heures supplémentaires étaient insuffisantes.

Il s'agissait :

- d'un décompte de ses heures de travail qu'il avait effectuées lui même faisant apparaître une amplitude de 9 heures par jour et sur une base de 45 heures, sans toutefois faire mention du début et de la fin de la journée de travail ni préciser l'amplitude des pauses déjeuner ;
- d'un tableau récapitulant les heures de transmission de certains mails en début de journée et en fin de journée de travail ;
- de deux témoignages.

La cour d'appel avait estimé que ces témoignages n'étaient pas suffisamment précis et ne permettent pas d'étayer suffisamment les décomptes fournis par le salarié et que le tableau relatif aux heures de transmission des mails n'est pas suffisamment fiable pour établir la durée de travail effectif et continu du salarié durant les périodes considérées.

Elle ajoutait que le caractère systématique d'une amplitude horaire de 9 heures de travail par jour, soit 45 heures par semaine, n'était pas justifié par le salarié qui ne fournissait aucun élément précis sur l'activité réalisée et que l'employeur avait fait état de discordances sur les tableaux d'enregistrement de son temps de travail et la feuille de temps de nature à établir l'existence des jours de RTT que le salarié avait omis de déduire de son décompte. 

Elle rejetait la demande du salarié au motif qu'il ne produisait pas des éléments suffisamment précis quant aux horaires réalisés pour permettre à l'employeur d'y répondre.

Le salarié a formé un pourvoi en cassation.

La Chambre sociale de la Cour de cassation a cassé l'arrêt de la cour d’appel.

Pour cela, elle a estimé que :

- D'une part, le salarié présentait des éléments suffisamment précis pour permettre à l'employeur de répondre,

- D'autre part, que l'employeur ne produisait aucun élément de contrôle de la durée du travail,

Or, dans une décision rendue le 14 mai 2019 (n°C-55/18), la Cour de justice de l'Union Européenne a considéré que pour assurer le respect de la Charte des droits fondamentaux en matière de durée maximale de travail, les Etats membres devaient imposer aux employeurs l'obligation de mettre en place un système objectif, fiable et accessible permettant de mesurer la durée du temps de travail journalier effectué par chaque travailleur.

En droit français, cette obligation existe de longue date: lorsque les salariés travaillent selon des horaires de travail individualisés, l'article D. 3171-8 impose normalement que la durée du travail de chaque salarié soit décomptée quotidiennement, par enregistrement des heures de début et de fin de chaque période de travail ou par le relevé du nombre d'heures de travail accomplies et, chaque semaine, par récapitulation du nombre d'heures de travail.

Cette obligation n'est pas toujours respectée, mais la Cour de Cassation n'en tirait jusqu'à l'arrêt de la CJUE aucune conséquence pratique, en se contentant d'assurer un équilibre de la charge de la preuve entre l'employeur et le salarié.

Mais la situation a maintenant changé.

Dans un premier arrêt important de la Cour de Cassation du 18 mars 2020 (n°18-10.919), elle a pris acte de la position de la CJUE, et donne l'avantage au salarié lorsque l'employeur n'a pas enregistré la durée de travail de son salarié.

Avec cet arrêt, la Cour de Cassation confirme cette position, et dit aux Cours d'Appel qu'elles ne peuvent écarter les demandes du salarié au motif que leurs preuves sont insuffisantes si l'employeur n'a pas respecté son obligation légale d'enregistrer la durée du travail.

Maintenant, la règle de preuve en matière d'heures supplémentaires est la suivante:

- Le salarié doit apporter des éléments factuels, pouvant être établis unilatéralement par ses soins mais revêtant un minimum de précision, afin que l’employeur, qui assure le contrôle des heures de travail accomplies, puisse y répondre.

Ces éléments peuvent être un simple décompte des heures effectué à la main par le salarié lui même, ou noté sur un calendrier. Les témoignages ne sont pas obligatoires, même si, en l’espèce, le salarié a versé aux débats des feuilles d’enregistrement de ses heures de travail, un tableau récapitulant les heures de transmission de certains mails en début de journée et en fin de journée de travail, et deux témoignages. Il n'avait aucune "preuve" bien établie, mais surtout des indices.

- Par contre, l’employeur a l'obligation d’établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail pour les salariés non soumis à l’horaire collectif. Ces documents doivent être tenus à la disposition de l’inspection du travail.

Si les juges ne disposent pas de ces documents, les éléments produits par le salariés seront seuls pris en compte.

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